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19 avril 2016

[critique] (8/10) LA TERRE OUTRAGEE par Christophe L.

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Synposis: 26 avril 1986, Pripiat, à quelques kilomètres de Tchernobyl.En cette belle journée de printemps, Anya et Piotr célèbrent leur mariage, le petit Valery et son père Alexeï, ingénieur à la centrale, plantent un pommier, Nikolaï, garde forestier, fait sa tournée habituelle dans la forêt… C’est alors qu’un accident se produit à la centrale. Piotr est réquisitionné pour éteindre l’incendie. Il n’en reviendra jamais.La radioactivité transforme la nature immédiatement affectée par ce sinistre. Les populations sont évacuées brutalement. Alexeï, condamné au silence par les autorités, préfère disparaître...Dix ans plus tard.Pripiat, ville fantôme désertée par ses habitants, est devenue un no man’s land, gigantesque Pompéi moderne érigé en un étrange lieu de tourisme…Anya est aujourd’hui guide dans la zone, tandis que Valery y cherche les traces de son père et que Nikolaï, lui, persiste à cultiver son jardin empoisonné...Le temps faisant son œuvre, l’espoir d’une nouvelle vie leur sera-t-il permis ?

Avec La terre outragée, la jeune cinéaste franco-israélienne Michale Boganim propose l’une des premières fictions – si ce n’est la première – sur la catastrophe de Tchernobyl. Elle adopte pour cela la forme d’un film choral, à la manière d’Iñárritu, avec des destins qui se croisent, sans vraiment se rencontrer. Son récit est certes moins éclaté que dans Amours chiennes, 21 grammes ou Babel. Ce n’est cependant pas un défaut pour moi. Au contraire, sa linéarité, sa sobriété sont bien mieux adaptées au sujet que la virtuosité narrative tape-à-l’œil du réalisateur mexicain – ou plutôt de son ancien scénariste, Guillermo Arriaga. La terre outragée se structure en deux parties : l’avant catastrophe, avec le mariage d’Anya et Piotr, et l’après, avec la pénible – l’impossible ? – reconstruction des survivants. Sur l’accident lui-même, Michale Boganim ne s’appesantit pas. Elle nous montre quelques animaux morts, une végétation dont la rousseur évoque les teintes d’un automne anachronique…

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Copyright Le Pacte

Il y a également ce nuage vert s’élevant dans la nuit, au-dessus de la centrale. Il monte dans le ciel, irréel, telle une âme maudite quittant un corps. Sa couleur rappelle celle du quatrième cavalier de l’Apocalypse, symbole de maladie, de décomposition et de mort. On doit aussi le relier à l’absinthe, la fée verte, obtenue à partir de l’armoise, dont la traduction en russe est… Tchernobyl, et qui, dans l’Apocalypse selon Saint Jean est le nom de la météorite s’écrasant sur Terre : Le troisième ange sonna de la trompette. Et il tomba du ciel une grande étoile ardente comme un flambeau ; et elle tomba sur le tiers des fleuves et sur les sources des eaux. Le nom de cette étoile est Absinthe ; et le tiers des eaux fut changé en absinthe, et beaucoup d’hommes moururent par les eaux, parce qu’elles étaient devenues amères. Le fléau nucléaire prend encore l’aspect de la pluie s’abattant sur les habitants de Pripiat. On songe évidemment aux fantômes d’Hiroshima recouverts des mêmes cendres mortelles dans le très beau film de Shōhei Imamura, Pluie noire (1989). Noire comme le tchernoziom, la riche terre d’Ukraine. Mais si dans ce cas cette couleur est porteuse de vie, de fertilité, ici, elle distille la mort et répand le deuil. Cette averse évoque aussi pour moi celles, annonciatrices de fin du monde, de Take shelter. Il s’incarne enfin dans le vain combat d’Alexeï, l’ingénieur, qui tente de préserver ceux qu’il croise avec de dérisoires parapluies.

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Copyright Le Pacte

La première partie du film met donc en scène les heures précédant l’accident. C’est le temps de la légèreté, de l’insouciance. Un couple sur le point de se marier se laisse aller au fil de l’eau sur une barque, des lavandières étendent du linge sur la berge, où un enfant et son père s’apprêtent à planter un arbre. On fait de la moto le long de la rivière, dominée au loin par les bâtiments de la centrale. Celle-ci est omniprésente dans le paysage. Quoi de plus normal, après tout ? Sans elle, Pripiat n’existerait pas. C’est pour héberger ses employés qu’a été fondée cette ville au début des années 1970. Elle assure la prospérité de la population. C’est pourquoi l’on se fait prendre en photo devant la statue de Lénine, qui a donné son nom au complexe nucléaire. On ne se doute pas qu’il sera bientôt le fossoyeur de toute la région. Michale Boganim procède ici par petites touches délicates et impressionnistes pour décrire la vie quotidienne des habitants. Elle est confortée pour cela par la photographie de Giorgos Arvanitis, l’une des figures les plus importantes du cinéma grec, dont on retrouve le nom au générique de la plupart des films d’Angelopoulos. Sa palette éthérée, que ne renierait probablement pas Monet ou Renoir, rend parfaitement compte de la fugacité du bonheur de la population de Pripiat.

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 Copyright Le Pacte

La photographie du film est bien sûr tout autre pour illustrer l’après catastrophe : blafarde, sans éclat. Au pied du sarcophage de la centrale, la vie semble momifiée. Les rares existences qui s’y risquent s’étiolent sous un ciel bas et lourd. Comme dans le poème de Baudelaire, on dirait que :

[...] la terre est changée en un cachot humide,
Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris...

C’est le récit du déracinement. En effet, même si les effets sanitaires de la radioactivité sont esquissés (l’héroïne perd ses cheveux), La terre outragée est davantage l’histoire d’un inconcevable exil qu’un pamphlet antinucléaire. Ce qui fait toute l’humanité de cette œuvre. L’atome a volé aux habitants de Pripiat bien plus que leur santé : leur identité, leurs souvenirs, qui gisent dans les rayonnages renversés des bibliothèques, sur le sol jonché de débris des écoles, dans les jardins à l’abandon et le parc d’attractions jamais inauguré, dont la grande roue est sans doute figée sur son axe pour l’éternité. Ses nacelles jaunes forment comme un nuage d'électrons autour de ce noyau...Dans une scène, Anya interprète à l’occasion d’un karaoké Voyage, voyage, la chanson de Desireless. Comme pour se convaincre qu’il lui est possible de se construire une nouvelle existence, ailleurs. Ce n’est qu’une illusion. L’être humain est une créature plus enracinée territorialement qu'on ne veut bien le dire aujourd'hui. Lorsque l’Homme quitte sans retour la terre qui l’a vu naître, c’est souvent sous la contrainte (exil économique ou politique, comme nous le rappelle l’actualité), rarement par choix. Et c’est généralement une source de souffrance pour lui. La jeune femme préférera in fine son univers contaminé à l’avenir que lui propose son fiancé français…

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Copyright Le Pacte

Cette seconde partie contient deux séquences magnifiques, à la limite du surréalisme. Je songe ainsi à cette cavalcade de chevaux redevenus sauvages, surgissant dans la neige sous les yeux obscènes des curieux venus se repaitre du spectacle des ruines de Tchernobyl. Il y a aussi cette fillette hantant les décombres de l’ancien appartement d’Anya, enveloppée dans les voiles immaculés et arachnéens de sa robe de mariée. Elle est le spectre innocent et insaisissable comme un feu follet du bonheur évanoui de l’héroïne, superbement incarnée par l’Ukrainienne Olga Kurylenko, jusque-là connue pour ses rôles de James Bond girl dans Quantum of Solace (2008) et de guerrière Picte dans Centurion de Neil Marshall (2010).Le titre anglais du film est Land of oblivion, littéralement La terre de l’oubli. Mais oblivion est aussi le terme désignant un psychopathe de la Rome antique qu’on appelait le Faucheur. La centrale Lénine fut bien la Grande faucheuse des habitants de Pripiat.

La Terre Outragée Bande Annonce VOST

CHRISTOPHE L.

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