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22 février 2016

[critique] (10/10) LES INNOCENTS par Christophe L.

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Synopsis:A la fin du XIXe siècle, Miss Giddens, une jeune institutrice, est chargée d'éduquer Flora et Miles, deux enfants, dans un vieux manoir. Elle découvre bientôt que ces derniers sont tourmentés par les fantômes de deux personnes décédées quelque temps auparavant...

Les innocents est l’adaptation de The turn of the screw, une nouvelle d’Henry James publiée en 1898. On la doit à Jack Clayton, qui se fit remarquer dès son premier long-métrage, Room at the top, doublement oscarisé en 1960 (Neil Paterson, pour le scénario, et Simone Signoret, récompensée face à – excusez du peu ! – Katharine Hepburn et Elizabeth Taylor, nommées pour leurs prestations dans Suddenly, last summer de Joseph L. Mankiewicz).Le pouvoir de fascination du conte de James tient à plusieurs éléments. Tout d’abord à son thème, qui nous replonge dans certaines terreurs de l’enfance. Si l’écrivain parvient à nous les faire revivre avec tant de force, c’est qu’il puise probablement dans ses propres émotions de jeune lecteur. Certes, ses carnets de travail laissent entendre qu’il s’inspira d’une anecdote rapportée par Edward White Benson, alors archevêque de Canterbury (une histoire d’enfants possédés par les fantômes de domestiques dépravés). Cependant, la véritable source du Tour d’écrou est sans doute davantage à chercher dans un récit horrifique, Tentation, que l’auteur au­rait lu vers l’âge de douze ans. « Comment [James] n’a-t-il pas pu […] en être effrayé, écrit Jean Pavans (traducteur français du romancier), s’il a repris […] les noms de deux de ses personnages – le héros de Tentation, Peter Quint, tourmente un dénommé Miles – une quarantaine d’années plus tard ? » (Les données intérieures de l’épouvante, préface au Tour d’écrou, Librio, 1998).

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L’autre réussite du Tour d’écrou vient de son traitement. Ce récit en forme de journal privilégie la dimension psychologique. Ce qui intéresse James, c’est le chaos intérieur de Miss Giddens. L’horreur, elle, n’est jamais abordée frontalement. Elle n’est que suggérée. En témoigne l’échange entre Mrs Grose et la gouvernante au sujet des propos tenus par Flora sur celle-ci. On apprend qu’elle a dit des « choses horribles, vraiment choquantes », que « cela dépasse tout pour une petite demoiselle ». On n’en saura pas plus. L’impact sur l’imagi­nation du lecteur est bien supérieur à ce que pourraient produire des descriptions grand-guignolesques ou des révélations plus précises. Toutefois, si cette histoire captive autant, c’est surtout parce que son auteur laisse le lecteur dans l’indécision. Quelle interprétation donner au final ? Les spectres de Quint et Jessel sont-ils réels ? Ou bien sont-ils une création de l’esprit malade de Miss Giddens ? Les deux niveaux de lecture sont possibles. Comme le note Jean Pavans, c’est une question de point de vue (artistique ou psychanalytique).Jack Clayton et son scénariste, l’écrivain Truman Capote, ont su parfaitement percevoir ces éléments et les transposer à l’écran. Dans cette adaptation, pas d’effets inutiles, mais un subtil dosage entre beauté, psychologie et terreur, ce que l’on sait de moins en moins faire aujourd’hui, où l’on privilégie, par facilité, la seule dimension horrifique, synonyme trop souvent de gore. Se situant dans la plus pure tradition du cinéma gothique, Les innocents réserve naturellement une place de premier plan à la demeure hantée. C’est la règle du genre (voir, par exemple, le domaine de Manderley de Rebecca). Le manoir de Bly n’est toutefois pas qu’un simple décor. Il est conçu comme un personnage à part entière, doté d’un corps et d’une âme. Sa partie supérieure est ainsi le siège de l’imagination, du rêve (c’est au sommet de l’une des tours qu’apparaît à Miss Giddens, dans un poudroiement lumineux surnaturel, le fantôme de Quint) et de la mémoire (les souvenirs – jouets des enfants, portrait du domestique décédé… – sont conservés dans le grenier). Les chambres forment le cœur palpitant de Bly. C’est là que les protagonistes con­naissent leurs émotions les plus vives.

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Quant à l’esprit du lieu, tourmenté comme son architecture, il se manifeste tout au long du film, dans l’ondoiement d’une tenture ou le vacillement de la flamme d’une bougie…Clayton n’évite pas certains clichés pour accroître la tension – les jumps scares, cache-misères du cinéma fantastique contemporain, nous sont heureusement épargnés ! Le cinéaste anglais n’en livre pas moins une œuvre très personnelle. D’abord en allant à contre-courant de la mode, puisque recourant au noir et blanc à une époque où les productions de la Hammer, alors en plein essor, privilégiaient la couleur. Avec son chef opérateur, Freddie Francis (qui collaborera au début des années 1980 avec David Lynch sur Elephant man et Dune), il nous propose un retour aux sources de l’expressionnisme, avec de puissants contrastes, qui font véritablement vibrer l’ombre, rendant ainsi le film plus inquiétant. On retiendra aussi son usage très particulier des fondus enchaînés. Plusieurs mélangent de multiples images (jusqu’à quatre), formant un alliage surréaliste, qui renforce la confusion entre réalités et visions hallucinatoi­res. Sa manière de composer certains plans et de jouer avec les reflets contribue également à ce trouble. On trouve un des exemples les plus réussis de ce jeu subtil dans la scène où Miss Giddens fait une partie de ca­che-cache avec les enfants. La gouvernante s’est dissimulée derrière un rideau, dans le salon. Son visage occupe le premier plan. De l’autre côté de la baie vitrée se dresse une statue.

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Soudain, émergeant de la nuit, entre la figure de chair et le simulacre de pierre, apparaît le spectre de Quint. Celui-ci contemple un instant la jeune femme, avant de reculer et de se fondre de nouveau dans l’obscurité. Miss Giddens s’élance alors à sa suite, mais l’effrayante apparition s’est évanouie. Revenant ensuite vers la pièce qu’elle vient de quitter, sa silhouette se superpose au reflet de Mrs Grose, qui a été alertée par son cri. Dans cette courte séquence (à peine une quarantaine de secondes), le réel et l’illusion s’entremêlent étroitement, brouillant un peu plus les repères du spectateur.Mais l’effet le plus saisissant est sans doute celui précédant le générique de début. Initialement, Les innocents devait s’ouvrir sur les obsèques du petit Miles, puis enchaîner sur un flashback. Finalement, le réalisateur opta pour un écran noir, illustré musicalement par la comptine obsédante des enfants. Au début d’une séan­ce, une salle de cinéma bruit toujours de quelques murmures. Cette entrée en matière insolite a le mérite de capter immédiatement l’attention du public. Minimaliste, certes, et cependant d’une extrême efficacité…Au-delà de ses qualités esthétiques, Les innocents propose un fascinant portrait de femme, Miss Giddens, parfaitement incarnée par Deborah Kerr. L’actrice écossaise livre ici une performance au moins égale à celle qu’elle accomplit dans Le narcisse noir (Black narcissus – 1947). Sœur Clodagh et la gouvernante présentent d’ailleurs une certaine parenté. Toutes deux se trouvent en effet plongées dans un univers qui leur est étranger, un ancien harem perché sur les sommets himalayens pour la religieuse, un luxueux domaine pour Miss Giddens, dont on sait qu’elle est issue d’un milieu modeste (elle est « la cadette des nombreuses filles d’un pauvre pasteur de campagne », peut-on lire dans le livre).Toutes deux, tourmentées par des désirs interdits, basculeront aux frontières de la démence. Car si James, comme je l’ai dit, n’est pas explicite, il n’en laisse pas moins planer des doutes sur le comportement de son héroïne. Ainsi, à la fin, lorsqu’elle partage le repas de Miles, après le départ de sa sœur, remarque-t-elle : « et j’ai eu l’idée saugrenue que nous avions l’air d’être un jeune couple en voyage de noces ». Plus loin, elle dit au jeune garçon : « Tu peux encore tirer un grand avantage de l’immense intérêt que je te porte ». Dans le même chapitre, elle relève que Miles s’exprimait avec « une gaieté à travers laquelle elle pouvait discerner un subtil petit frémissement de passion ». Le film n’exclut pas cette piste de la séduction, selon l’expression de Freud.. « I have you! » s’écrit-elle en étreignant l’enfant, avant de déposer un baiser sur ses lèvres.

« I have you! »

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La théorie de la séduction (ou neurotica) formulée par Freud dans Studien über Hysterie – coécrit avec Joseph Breuer en 1895 – expliquait la genèse de cette névrose par un abus sexuel subit dans l’enfance, traumatisme d’abord refoulé, avant d’être révélé au moment de l’adolescence par un évènement souvent anodin (la Nach­träglichkeit), à l’origine des troubles. Il n’est pas illégitime de penser que Miss Giddens ait été victime d’une telle agression, qu’elle reproduirait sur Miles. Le film donne quelques indices dans ce sens. Dans la scène fi­nale, par exemple. Quand la jeune femme presse le petit garçon d’avouer qu’il est sous l’emprise de l’esprit de Quint, celui-ci lui réplique qu’elle a peur de devenir folle, qu’elle veut le faire mentir, le terroriser, comme sa sœur. Certes, en arrière-plan apparaît le visage du domestique, qui semble commander ses paroles. Mais n’est-ce pas une vision de la gouvernante ? Un peu plus loin, l’enfant paraît sur le point de reconnaître sa possession. On peut cependant aussi imaginer que l’attitude de Miss Giddens lui inspire une telle terreur qu’il est prêt à lui céder, pour échapper à sa folie. Ne lui lance-t-il pas, l’instant suivant : « You are insane ! », tandis que sous le regard halluciné de la gouvernante les statues du jardin paraissent emportées dans une danse ma­cabre ? Miss Giddens évoque en fait pour moi Nina, l’héroïne de Black swan, tantôt cygne blanc, tantôt cygne noir. L’affiche française du film ne fait-elle d’ailleurs pas référence au ballet de Tchaïkovski ? L’adaptation cinématographique n’apporte donc pas plus de réponses que le livre. D’autant que les enfants jouent parfaitement l’ambiguïté. Ils forment un couple fusionnel particulièrement inquiétant. On songe aux étranges créatures blondes du Village des damnés de Wolf Rilla (Village of the damned – 1960). Martin Stephens, qui incarne le petit Miles, tenait d’ailleurs le rôle principal de ce film. Pamela Franklin, ici dans sa première apparition à l’écran, compose quant à elle une fascinante poupée perverse. On n’oubliera pas la joie sadique illuminant son angélique visage semé d’éphélides devant le spectacle d’un papillon dévoré par une araignée. Ni sa terrifiante crise hystérique au moment où la gouvernante veut l’obliger à regarder le fantôme de Miss Jessel.

The Innocents (1961) - Trailer

CHRISTOPHE L.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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